Les 6 derniers mois ont bousculé nombreuses de nos certitudes, ils ont contrarié bien des habitudes, et il est justement bon que nous puissions encore nous retrouver pour en débattre, pour dessiner non pas “le monde de demain”, mais les horizons vers lesquels nous choisissons de naviguer avec détermination.
C’est pourquoi Julien Magitteri, fondateur et associé-gérant de Côme, Le Family Office, est heureux d’avoir été invité par la House of Finance de Dauphine, et ses partenaires Sanso IS, Quantalys et La Française, à la 7èmeédition de l’Université d’été de l’Asset Management, pour répondre à la question “Investir après la crise ? La réalité des investisseurs.”
Trois axes ont structuré l’intervention de Julien Magitteri : la confiance, la transparence et l’engagement. Il a d’abord évoqué la clientèle de Côme, composée de profils d’entrepreneurs âgés de 45 ans en moyenne, qu’il qualifie de “génération du plus” : plus jeune, plus engagée, cherchant plus de sens mais aussi plus de rendements. Pour répondre à ces attentes potentiellement contradictoires, la mission de Côme est simple et exigeante à la fois : protéger les intérêts des clients. Si les performances maximales sont difficiles à atteindre selon cette stratégie, cette dernière permet de préserver les capacités d’action et d’investissement des clients à moyen et long terme, surtout dans des époques contrariées par des événements dont les conséquences sont encore par trop imprévisibles.
Près de 400 personnes ont suivi en direct cet événement que vous pouvez revoir ici et dont nous vous proposons un compte rendu écrit ci-dessous.
Compte rendu de la table ronde (les textes fournis sont synthétiques, non verbatim, seul le prononcé faisant foi).
Participants : Charles-Henri d’Auvigny, Président, F2iC ; Jean-François Boulier, Président d’honneur, AF2i ; Martial Godet, Responsable Advisory & Execution, BNP Paribas Wealth Management ; Julien Magitteri, Associé Gérant-Fondateur, Côme ; François de Varenne, CEO, SCOR GI.
Comment, face à cet arrêt brutal d’activité et cette chute massive des marchés, les investisseurs institutionnels réagissent-ils ?
François de Varenne : En période de choc ou de forte hausse de la volatilité, la mission est de protéger la valeur de ses actifs plutôt que d’aller chercher instantanément des opportunités sur le marché et de profiter des dislocations que l’on peut voir. On a deux moyens de le faire :
- Soit une utilisation abondante de produits dérivés ;
- Soit on le fait en cash, en réduisant l’exposition aux classes d’actifs risqués, en attendant que ça passe avant de redéployer.
Début mars, le cash fut investi en risque souverain, de bonne qualité sur chacune des devises, à très court terme. Nous pensions que la crise allait durer plus longtemps, mais le marché s’est quand même remis assez vite en mode risk on. Début juin, nous avons réinvesti sur du A+/BBB, sur des secteurs hors aviation, hôtellerie, auto, mais essentiellement du Private Equity, de la dette privée, de l’infrastructure.
Est ce qu’il y a une unité ou au contraire, des réactions différentes de la part des investisseurs institutionnels ?
Jean- François Boulier : Les gens ont compris qu’il fallait anticiper, ont compris que la valeur était une chose, mais que la liquidité en était une autre et que ces différentes notions ne remplissent pas forcément les mêmes besoins.
Un grand nombre des investisseurs institutionnels ont tout de même été opportunistes dans cette période, c’est à dire qu’ils ont été acheter des actifs risqués. D’ailleurs, les investisseurs particuliers l’ont fait aussi. Cela est dû au fait que nous avions affaire à une crise qui n’est pas une crise économique, mais dont la racine était une question hors de la sphère économique.
En revanche, le secteur de la santé était un secteur extrêmement important pour la partie économique et on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas que des éléments strictement économiques, mais qu’il y avait les éléments de souveraineté. Je crois que cela a été une grande leçon pour les investisseurs institutionnels également. Investir dans son pays, c’est investir dans la souveraineté de son pays et dans sa capacité à répondre aux besoins vitaux de sa population, en particulier en matière de santé.
Qu’en est-il du côté des particuliers ?
Charles-Henri d’Auvigny : Derrière des asset managers, il y a des particuliers qui leur confie leur argent.
C’est la troisième crise boursière que le particulier subit. On avait toujours dit que le particulier vendait au son du canon et achetait au son du violon. Là, cette année, il a compris la leçon et il a acheté au son du canon et vendu au son du violon.
Quand on parle d’actions, il faut bien savoir que tous les sondages disent que les Français n’aiment pas la Bourse, n’aiment pas les investissements. Oui, parce que 50% d’entre eux n’ont pas cette capacité d’épargne. Maintenant, les autres 50% sont prêts à investir et à aller vers les entreprises et donc vers un investissement qui donne du sens aussi.
Comment a réagi cette population qui, tout comme les professionnels, n’était pas préparée à cette crise ?
Julien Magitteri : Je pense que tout le monde s’en rend compte aujourd’hui. Vous avez un stock d’épargne conséquent, 5.300 milliards d’euros. Et puis derrière cela vous avez une coordination des banques centrales, des plans de relance. Finalement, un monde assez aseptisé ou assez normalisé. De l’autre côté, un tempérament, un comportement, des investisseurs complètement et radicalement différents.
Ce qui la caractérise, c’est confiance, une confiance durable. Parce qu’encore une fois, je pense que l’ensemble de cet environnement peut être mieux maîtrisé. Et puis, je pense qu’il y a un engagement de la part de tous les professionnels que nous sommes. C’est cette notion de transparence et d’engagement.
Je pense qu’on a tous été sur le front pendant cette période et je pense que les épargnants s’en rendent compte. On dit souvent qu’on a les clients qu’on mérite. Chez Côme nous avons une clientèle dont la moyenne d’âge tourne autour de 45 ans, avec des profils d’entrepreneurs. Je les appelle la génération du plus. Ils sont plus jeunes, ils monétisent plus tôt. Ils sont beaucoup plus engagés et ils veulent donner beaucoup plus de sens à leur investissement et ils veulent beaucoup plus de rendements. Cette équation, il faut savoir y répondre. Une citation que j’apprécie particulièrement c’est que la réussite, est la combinaison de trois facteurs. C’est bien évidemment le travail, c’est l’intelligence de la situation, et puis surtout, c’est la chance.
On a commencé l’année avec un investissement en equity extrêmement limité sur la partie cotée puisqu’on devait être exposé à 10%. Je trouvais qu’il y avait une dé-corrélation complète entre l’économie et les marchés, et l’important était de protéger les intérêts de mes clients. On a envisagé deux scénarii. Le scénario de fin du monde et le scénario où, finalement, cette crise allez assez rapidement être effacée par l’arrivée d’un vaccin.
Dans ces circonstances, vous nourrissez une relation de confiance. L’ensemble des épargnants a voulu investir, mais investir avec du sens. On doit repenser ensemble de quelle manière réutiliser cette épargne, je pense que c’est un travail collectif, de banquiers, de gérants, que d’assumer cette transparence, cette communication.
Nos clients sont positifs depuis le 1er janvier. Donc pragmatisme, proactivité avec un bon équilibre, une bonne allocation d’actifs avec une sélection fine, des solutions d’investissement et puis avec une bonne équipe, des bonnes équipes de gestion.
Martial Godet : On a quand même vu entre 2016 et 2019, un bon millésime, un millésime moyen et deux millésimes catastrophiques. Donc, quelque part, entre des performances de la gestion active tout à fait médiocre, entre des niveaux de valorisation qui, à l’entrée de la crise, étaient quand même très élevés, on avait du mal, honnêtement, à orienter nos clients vers quoi que ce soit, à part le Private investment.
Effectivement, on a vu une tendance qui était très bonne depuis 3/4 ans. Mais sur les actifs liquides ou relativement liquides, il y avait quand même des gros points d’interrogation quant à la capacité d’offrir des solutions qui avaient un rapport qualité prix intéressant pour nos clients. Donc, même si certains fonds et certains clients perdent encore de l’argent, il ne faut pas se voiler la face, depuis le début de l’année ou sur un an, on se retrouve aujourd’hui avec des portefeuilles beaucoup plus intéressants que ce qu’on avait il y a 9 ou 12 mois.
Maintenant on a une offre thématique tout à fait intéressante, tout à fait ciblée, à la fois en actif et passif. Et puis, évidemment, on a cet énorme développement de l’intégration ESG. Ça donne du sens aux actifs de nos clients. Ça nous permet surtout de mieux comprendre leurs objectifs.
On peut se dire que même si on est revenu sur des niveaux de valorisation très élevés, même si on perd peut-être à cause des banques centrales, je pense que nos clients savent beaucoup mieux pourquoi et comment ils sont investis. Je pense qu’ils sont contents d’avoir bénéficié de l’opportunité et qu’ils sont prêts à rester investis dans un contexte de liquidités très abondantes.
On parle de défis et de réponses aux défis, mais quels sont les points de vigilance majeurs de la situation que nous rencontrons pour composer ces portefeuilles ou pour élaborer une stratégie à moyen, long terme ou court terme ?
Martial Godet : Les cartes sont rebattues, on voit une vraie redistribution des parts de marché, des dynamiques. C’est vrai pour les producteurs, c’est évidemment vrai pour les distributeurs, puisqu’il faut qu’on comprenne toujours mieux les objectifs et les attentes de nos clients.
Il faut peut-être qu’on soit encore meilleur sur le reporting. L’ESG, l’ISR et l’impact investing, par le fait que les clients ont une exigence sur ces facteurs-là, remontent l’intégralité du niveau du reporting.
L’industrie financière est mauvaise sur les reportings, donc là, on a une obligation en 2020 d’avoir des reportings clairs avec du quantitatif, avec du qualitatif, avec de la simulation, le cas échéant, avec des indicateurs personnalisés.
Et l’autre qualité, c’est la capacité à répondre aux clients du tac au tac, c’est à dire que les délais en disant on vous répond dans trois jours, dans une semaine, ça, c’est fini. Donc, il y a une espèce de focus sur la qualité qui tentera de dépasser l’espèce de d’industrialisation.
Jean- François Boulier : c’est important de se poser les questions de : Qu’est ce qui change ? Sur quoi travailler ? Qui est en train d’évoluer ? Je crois que cette crise n’est pas tellement une crise qui est en train de faire changer, mais qui est en train d’accélérer et de faire accélérer.
Maintenant, on est plus exigeants. Ce n’est pas uniquement la performance de court terme, mais qu’est-ce que ça change ? Qu’est-ce que cela va changer dans ma vie ? Qu’est-ce que ça va changer dans notre vie économique, dans la vie des populations, etc. Et ça résonne extrêmement fort avec les épargnants qui comprennent ça alors qu’ils ne comprennent pas les questions de finance ou de taux d’intérêts.
Le deuxième thème reste beaucoup plus technique, beaucoup plus marché, c’est que le facteur investing est absolument en train de dominer et de montrer sa force dans les stratégies d’investissement des institutionnels. Peut-être pas quelque chose qui se vend beaucoup aux particuliers parce qu’il faut expliquer ça et ce n’est pas très facile. Mais chez les institutionnels, ça a montré toute sa pertinence sur les actions. C’est en train d’arriver de façon très forte sur les obligations. C’est un élément fort qui est en train de montrer que le taux de rentabilité, c’est insuffisant. Il faut aller regarder d’autres caractéristiques qui sont déterminantes sur le moyen long terme d’une amélioration de la valorisation.
Le troisième sujet dont on n’a pas trop parlé, mais qui me paraît être lié au thème du risque de l’inflation, c’est tout ce qui est crypto. Tout d’un coup, toute une série de nouveaux intervenants sur ce secteur-là. Il y a des banques qui sont en train d’offrir des services crypto et donc on sent que le monde est en train de changer. On le sait, les blockchains permettent de faire des économies phénoménales sur le traitement. Phénoménal sur le plan réglementaire parce que tout est tracé. Du coup, je pense qu’il y a une alternative possible et je crois que c’est utile d’aller regarder ces éléments nouveaux.
Julien Magitteri : Cette crise est bien évidemment polymorphe. Elle est avant tout sanitaire, économique, sociale. Je pense qu’elle peut se transformer en crise politique et cette crise politique, rappelons-nous quand même qu’on a une échéance dans deux mois, ce sont les élections américaines. S’il y a une modification des paradigmes politiques internationaux, avec bien évidemment des relations géopolitiques qui seront complètement différentes eu égard à ce qui se présente aux Etats-Unis, je pense que ça peut influencer le reste du monde.
L’autre principe, c’est que bien évidemment, toutes les mesures fiscales peuvent être complètement anéanties ou modifiées. Cette stabilité nos clients l’attendent, et là je pense que c’est un point de convergence, quelle que soit la segmentation des clients.
L’autre inquiétude que j’ai concerne plutôt les consommateurs, les épargnants. Je trouve que les banques ont fait un mauvais choix. Aujourd’hui, les épargnants sont complètement délaissés dans leurs choix d’investissement. Pour moi, il est juste mal orienté et si on souhaite maintenir cet engagement de la part des épargnants sur des solutions d’investissement, je pense que nous tous, on doit pouvoir s’engager par la transparence. On a parlé des frais et par la qualité de la distribution, par la transparence des informations et plus que jamais dans ce monde ultra complexe, même nous, en tant que professionnels, nous avons une multitude d’informations avec un temps maintenant minime. On l’a dit tout à l’heure, il faut être toujours dans la réactivité. Je plains l’épargnant qui est là seul avec son stock d’épargne.
Mais moi, l’adage que j’aime beaucoup, c’est qu’aujourd’hui, dans le monde dans lequel nous vivons, ce n’est bien évidemment pas les plus gros qui mangent les plus petits, mais les plus rapides qui mangent les plus lents. Et tant mieux pour nous Family Office puisqu’on a vocation à accélérer notre développement.